La théorie de l’évolution mise à mal : Faut-il brûler Darwin ?

Entre le dogme et nous, un abîme d’ignorance
Entretien avec Jan Sapp, professeur d’histoire des sciences de l’université d’York (Canada).


Sciences et Avenir : De plus en plus de jeunes biologistes secouent le joug du néodarwinisme. Pourtant, les observations contredisant la doctrine sont déjà anciennes. Pourquoi ont-elles été si longtemps occultées ?


- Jan Sapp : Pour plusieurs raisons, notamment politiques, et surtout aux Etats-Unis. Dans les années 1950, il était dangereux d’y parler d’hérédité cytoplasmique ou encore du rôle des symbiotes dans l’adaptation. En effet, depuis les travaux de Joshua Lederberg, on se doutait par exemple que les mitochondries qui nous permettent de respirer étaient probablement, il y a des centaines de millions d’années, des bactéries ayant fusionné avec les organismes unicellulaires. Mais aborder ces questions, c’était prendre le risque de passer pour un lamarckien ou pire un disciple du soviétique Trofim Lyssenko, c’est-à-dire un communiste...


Ce refus des idées lamarckiennes continue-t-il ?
Et comment ! En 1988, le grand biologiste Ernst Mayr déclarait, péremptoire, que la symbiose n’a eu aucun rôle dans l’évolution des espèces. Aussi, lorsque je me suis intéressé à ces grands biologistes d’avant guerre qui avaient travaillé sur d’autres modèles que ceux du néodarwinisme, comme Tracy Morton Sonneborn ou Victor Jollos, m’a-t-on traité de communiste ! J’ai dû quitter les Etats-Unis et rejoindre le Canada, seul moyen pour moi de redécouvrir les travaux pionniers de ces savants qui avaient fui le racisme de l’Allemagne hitlérienne et qui s’étaient finalement retrouvés piégés par l’intolérance académique lors de leur exil américain.


Mais l’histoire va peut-être leur rendre justice ?
Je l’espère, mais j’en doute. Même des scientifiques très connus se montrent prudents lorsqu’ils ont des doutes sur la doctrine darwinienne. Il y a des exceptions, comme Carl Woese, le découvreur des archéobactéries. Ce véritable néolamarckien est convaincu que la complexité est le résultat inévitable de « l’auto-évolution » des organismes et non de la sélection naturelle. Mais il reste l’exception. Le risque qui guette la biologie, en tout cas aux Etats-Unis, est celui de l’hyperspécialisation universitaire. En ne formant plus que des techniciens, qui pourra surmonter l’abîme d’ignorance qui nous sépare d’une vraie remise en cause du dogme ?


Propos recueillis par Pierre Jean Baptiste


* Jan Sapp est l’auteur de deux livres majeurs de l’histoire de la biologie : Beyond the Gene et Genesis, the Evolution of Biology.

Précédent

Retour

Suivant