III.
L'économie de l'or.
Le
rôle de l'or dans les systèmes monétaires passés et présents
L'or a toujours suscité
l'admiration et la convoitise en raison de sa rareté et surtout de ses propriétés.
Rare, l'or l'est sans aucun doute puisqu'il est pratiquement toujours en proportions
trop faibles pour être extrait en quantités satisfaisantes. Les gisements sont
en effet constitués par des roches dans lesquelles l'or est disséminé et on
estime qu'il y a en moyenne 5 milligrammes d'or par tonne de roche à la surface
de la terre. Ensuite l'or est très résistant. Il est quasiment inaltérable sauf
en présence de mercure. Ainsi les 120 000 à 125 000 tonnes d'or extraites depuis
un millier d'années existent toujours. On ne peut pas en dire autant des autres
métaux. Il n'est pas étonnant dans ces conditions, qu'il ait servi très tôt
trop d'intermédiaire dans les échanges de nombreuses civilisations et de stock
de pouvoir d'achat. Pour autant, depuis l'Egypte ancienne jusqu'à nos jours,
l'or en tant que monnaie n'a pas eu un rôle aussi prépondérant qu'on aurait
souhaité lui prêter. D'abord toutes les civilisations ne l'ont pas utilisé en
tant que monnaie. Ensuite, il y n'y a pas de continuité dans la circulation
de ce métal précieux même si celui-ci bénéficie d'une très grande confiance.
Il n'y a par exemple jamais eu autant d'or qu'au XXème siècle et pourtant dès
1931 la Grande Bretagne cesse toute convertibilité de ses billets de banque
en or. Avec les vicissitudes des découvertes et des exploitations se greffent
parfois des mécanismes économiques et des intérêts politiques qui font de l'or
un métal très capricieux et pas forcément un ami sûr des échanges économiques.
Explications.
Si l'Egypte ancienne utilise
l'or, ce n'est pas en tant que monnaie. Dans une économie de troc quelques lingots
circulent ici et là mais le métal précieux a une destination bien particulière.
Il sert avant tout aux rites funéraires - l'or étant associé au dieu Amon. De
temps en temps, il sert aussi de tribut versé à des voisins un peu turbulents
qui menacent de déferler sur la vallée du Nil.
La monnaie d'or et d'argent
naît dans le royaume de Lydie en Anatolie au VIème siècle av. J.-C., sous le
règne de Crésus et va s'étendre à l'ensemble du bassin méditerranéen et des
régions de la Mésopotamie. Mais même les cités grecques et la république romaine
dédaignent d'utiliser l'or comme monnaie courante. On préfère le cuivre. On
frappe les monnaies en or seulement dans les temps de crise pour s'assurer le
soutien sans failles des citoyens. Il faudra attendre le règne d'Auguste pour
que la frappe des monnaies en or se généralise vraiment, malgré l'abondance
des arrivages de la péninsule ibérique avant son règne. Et encore, la frappe
ne survivra pas la chute de l'Empire romain. Elle ressuscitera en Occident bien
après le temps des croisades (XIII-XIème).
C'est avec les grandes
découvertes que l'or fait sa véritable entrée dans les systèmes monétaires européens.
Comment pourrait-il en être autrement lorsque s'ouvrent aux conquistadores les
richesses accumulées par les civilisations aztèque et surtout inca puis se prolongent
plus tard avec l'exploitation des mines d'or du Pérou. L'or est ainsi ramené
sur le continent européen et est en grande majorité fondu pour petit à petit
servir de matière première à la monnaie. Mais première loi économique qui
s'impose crûment aux détenteurs de tout cet or, ce n'est pas l'abondance
de la monnaie qui fait la richesse. Il ne suffit pas de posséder tout l'or
du monde pour être riche, encore faut-il que la correspondance entre la production
de biens et de services et la quantité d'or en circulation pour se la procurer
soit stable. Or cette correspondance cesse de fonctionner sous l'afflux du métal
précieux. Le décalage en effet produit une hyper-inflation qui a pour conséquence
de diminuer par près de dix le pouvoir d'achat de l'or durant le XVIème siècle.
En d'autres termes, en quelques décennies, on achète dix fois moins de biens
de première nécessité avec la même quantité d'or ou si l'on préfère, un conquistador
de la fin du XVIème siècle est dix fois moins riche que celui du début du XVIème
siècle. Les manipulations monétaires opérées régulièrement par les souverains
notamment Louis XIV et que dénoncent par exemple Montesquieu dans ses lettres
persanes, réaffirment ce principe de l'inflation liée à la surabondance de la
monnaie dans une économie de production atrophiée.
Deuxième loi économique,
dite aussi loi de Gresham : la " mauvaise monnaie chasse la bonne ".
Dans de nombreux pays se met en place des systèmes bimétallistes, or et argent.
Or ces deux métaux n'ont évidemment pas la même valeur. Pour garantir la frappe
des monnaies et assurer la confiance, on établit sous la Révolution entre ces
deux métaux en France un rapport de 1 à 15,5. Ainsi 1 franc émis en 1804 équivaut
à 325 milligrammes d'or ou 5 grammes d'argent. C'est autour de ce rapport que
la spéculation va s'engouffrer. En effet, la production d'or et d'argent n'est
pas stable dans le temps. Lors des ruées vers l'or en Californie et en Australie,
la surabondance relative de ce métal fait diminuer le prix de l'or sur le marché.
Les spéculateurs profitent alors pour échanger leur or en argent. L'argent se
raréfie et sa valeur augmente par rapport à l'or dans un rapport qui reste inchangée
entre les deux métaux. Des gains considérables sont alors réalisés. L'inverse
se produit, lorsque c'est la production d'argent qui est surabondante. Mais
dans ce dernier cas, la raréfaction relative du métal gène considérablement
les échanges extérieurs, car l'or est utilisé dans les règlements entre pays.
A terme c'est l'économie réelle qui est menacée car elle ne dispose plus assez
de liquidités pour les échanges.
Pour palier à ces difficultés
les pays européens ont progressivement abandonné le système bimétalliste pour
ne conserver que le régime d'étalon-or. Pour assurer un nombre suffisant de
liquidités, on a également émis des billets de banque dont la convertibilité
en or est garantie.
L'expansion économique
de l'Europe consécutive à la deuxième révolution industrielle va toutefois fragiliser
de nouveau l'ensemble des systèmes monétaires. La quantité de monnaie n'est
pas suffisante et la création monétaire (crédit) nécessaire par exemple pour
les investissements doit être gagée sur les stocks d'or. Or les stocks d'or
des banques centrales varient moins avec la croissance de l'activité économique
que des disponibilités nouvelles en métaux précieux. Sous l'impulsion de la
banque de Suède, on prend alors l'habitude d'émettre un nombre de billets de
plus en plus important par rapport à la quantité de métaux détenue dans les
encaisses des banques. Il faut en effet de plus en plus de capitaux mais la
quantité de métal augmente peu. Progressivement les individus s'y habituent,
et cette monnaie prend une place grandissante jusqu'au jour où les crises placent
les gouvernements dans l'incapacité de rembourser en or les billets de banque.
C'est le cas pendant la première guerre mondiale où de nombreux pays européens
sont contraints d'écouler leur stock d'or pour régler leurs efforts de guerre
vis à vis de l'extérieur, de l'Allemagne au début des années 20 qui doit payer
le prix de sa défaite ou encore de la Grande-Bretagne à partir de 1931 en raison
de la crise économique. Les billets de banque ont alors cours forcé, c'est à
dire que les banques centrales ne sont plus tenues de rembourser les billets
de banques en or. Ainsi le système d'étalon-or est abandonné progressivement
dans la première moitié du XXème siècle.
Il est néanmoins ressuscité
aux accords de Bretton-Woods en 1944 mais sous une forme particulière. Seul
le dollar américain est convertible en or au niveau des banques centrales sur
la base de $ 35 par once d'or fin (31 g). C'est le système d'étalon-devise or.
Les réserves américaines s'étant considérablement affermies pendant la seconde
guerre mondiale, les Etats-Unis sont le seul pays à pouvoir assurer la convertibilité
de leur monnaie. Les mêmes problèmes pourtant se reproduisent et aboutissent
à la suspension de la convertibilité en 1971 (83 % de la masse monétaire ne
pouvant être convertis) puis de façon définitive à partir de 1976. L'or est
démonétisé, il ne constitue plus alors un moyen de paiement.